LE CELLIER D'EPIERRE
Le cellier d'Epierre est une bâtisse remarquable, hélas bien endommagée, située dans la vallée de la Morena à environ deux kilomètres et demi de Cerdon en passant par le hameau de Préau. Dans cet endroit paisible qui semble éloigné de tout, entouré de hauteurs boisées s’installèrent les chartreux de Meyriat suite à une donation faite par Alix de Coligny alors veuve d'Humbert II, sire de Thoire en 1216. Cette présence est attestée par plusieurs actes1 notariés datant de 1813 à la suite de différends et d’échanges entre Joseph Orsel et plusieurs vignerons de Cerdon à propos des bois du domaine d’Epierre. Ces actes font référence à des concessions qui leur ont été faites par les chartreux de Meyriat par des Chartres datant du 8 septembre 1258, du 12 janvier 1259, du 9 février 1279, 2 septembre 1450 et 25 mai 1499. Par ces concessions ils «… ont un Droit D’usage Très Etendu dans les Bois des Seigneurs de Chatillon de Corneille Situés dans leurs Terres et Seigneuries de Chatillon pour les Besoins et utilité du domaine du quel Dépend un Cellier α un vignoble Considérable notamment pour le pesselage2 Echalassage de leurs vignes leurs chaufage la cloture de leurs fonds indépendants et autres besoins de ce domaine…» On imagine difficilement cette zone de fond de vallée encadrée de pentes à la végétation forestière dense et certainement déjà en culture comme celle de la vigne. Ce vignoble en piedmont, exposé au sud a pris de l'extension au fil des siècles avec une construction dont on ne sait pratiquement rien, probablement à l'origine édifiée avant le resserrement de la vallée et dans sa partie la plus protégée. Il est certain que dès le XIVe siècle la bâtisse fut plus importante avec une cave voûtée de style roman et des logements au dessus. Peu à peu les acquisitions de terres permettent au début du XVIe siècle un agrandissement du domaine qui va s'étendre par delà Epierre et sur la montagne, aux lieudits de Chouin, Superiat, Luquin. Jusqu'à la Révolution cette propriété ne cesse de s'accroître avec une surface en vignes d'une dizaine d'hectares d'Epierre au Crêt du Jour, sous la direction de moines convers qui s'acquittent des tâches matérielles et auxquels viennent s'adjoindre des métayers locaux ainsi que des journaliers. A la fin de la Renaissance des aménagements plus conséquents sont réalisés sur la bâtisse avec sans doute l'édification d'une chapelle. Viendront plus tard des bâtiments attenants dont une vaste grange. Il apparaît que le 27 février 1760 un bail est conclu entre les chartreux de Meyriat et un certain Galley pour gérer le domaine dans les activités fourragères, celles concernant notamment le bétail et les bois. Dès décembre 1789 le domaine est déclaré "Bien National" et les moines en sont chassés l'année suivante. Mis en vente l'ensemble est acheté en 1791 par Charlotte Julie Montluzin de Gerland, veuve d'Alexis Dujast certainement pour Joseph Orsel seigneur de la baronnie de Chatillon-de Cornelle, de la Verdatière, de Montgriffon et la Tour des Echelles de Jujurieux. D'ailleurs la dame en question deviendra en 1794 l'épouse dudit Joseph Orsel après que ce dernier ait connu des difficultés avec le nouvel ordre révolutionnaire. Cette union, qui de dura guère plus d'une année, se conclut par un divorce qui laissa le domaine à Joseph Orsel jusqu'à son décès survenu en 1820. Un état des revenus d'Epierre de 1820 en établit les biens3. Dans ce document il est spécifié que François Marie Pierre Maupetit, son neveu, acquitte alors le quart des contributions foncières et par acte testamentaire est admis à jouir des biens d'Epierre pendant deux ans. Il en cédera cet usufruit avant échéance à Philippe François Buynand des Echelles4 père de Jeanne Pauline5, veuve et seconde épouse de Joseph Orsel. Cette dernière épousera en 1822 Joseph Montluzin de Gerland. Plusieurs inventaires6 des endroits bâtis datant de 1821 et 1825 répertorient à la fois les lieux, le mobilier, le matériel, les productions de vin, le bétail. En 1827, le couple Montluzin de Gerland – Buynand des Echelles y réside et récupère le tiers du domaine acheté à Louise Sophie sœur de Jeanne Pauline, le dernier tiers avait été déjà acheté personnellement par Joseph Montluzin de Gerland en 1826 à Joseph Camille autre frère de Jeanne Pauline. En mars 1830 le couple met en vente7 tous les immeubles qu'il possède sur les communes de Cerdon, Saint-Jérôme, Izenave et Corlier. Il est précisé qu'une partie de ces biens forme trois corps de domaines appelés Epierre, Superiat et l'Evierre (ou Vieres). Finalement le 8 novembre de cette même année, pour la somme de 60 000 francs le domaine d'Epierre dont la superficie est estimée à 55 hectares - 98 ares - 10 centiares est vendu8 à Mr Claude Augustin Séraphin comte de la Beaume Pluvinel. Il semble qu'il ne le garde pas très longtemps puisqu'il est racheté9 pour 70 000 francs le 28 juillet 1831 par le comte André Marie Jules de Jerphanion, chevalier de l'ordre religieux et militaire du Saint Sépulcre de Jérusalem, qui va y réaliser des aménagements conséquents dans les parties habitées, et établir au bout du couloir de l'étage du bâtiment principal une petite chapelle intérieure dont les restes étaient encore visibles en piteux état vers 1985. Il va rester dans le patrimoine de Jerphanion jusqu'en 1895 où il sera vendu10 45 000 francs par Marie de Jerphanion à François Eugène Chavent fils de Joachim, négociant papetier à Lyon et propriétaire du château de Lacoeuille. Ce dernier y décède en 1927. La famille Chavent conservera ce domaine jusqu'en 1983 mais à partir des années 50 avec Melchior Chavent le bâtiment principal et les dépendances ne seront plus entretenus et deviendront inhabitables. Il semble qu'à partir de cette dernière année une malédiction s'acharne sur le cellier d'Epierre. Dominique Saint-Pierre et Christian Ruby en font l'acquisition en 1983 et envisagent pour la demeure et les dépendances une restauration sérieuse et efficace. Elle débute par la réfection de la toiture qui s'était en partie effondrée. Achevée fin 1984 c'est une première protection indispensable pour assurer une rénovation intérieure dans un proche futur. Des projets sont évoqués pour rendre au cellier sa mission première et en faire un possible centre des vins du Bugey doublé d'un espace capable d’accueillir des événements culturels. Mais le cellier n'est pas à l'abri des pilleurs de tout genre qui s'approprient bon nombre d'éléments d'ouverture, planchers et autres profitant de son isolement. En juin 1992 pour des raisons "qui restent encore obscures" un incendie se déclare dans le bâtiment principal toiture et corps du bâti sont la proie des flammes. Malgré l'intervention des pompiers, rien ne peut être sauvé et les propriétaires catastrophés ne peuvent que constater les dégâts et l'effondrement d'une œuvre qui s’annonçait promise à un bel avenir. Désabusés ils ne pourront que faire recouvrir l'ensemble d'une toiture en tôle et revendre un ensemble ruiné. Alerté et sollicité en 2005, après une longue période de vagues occupants et de squats divers, l’association Patrimoine des Pays de l'Ain sans doute freinée par quelques appréhensions financières et l'envergure d'un nouveau projet se tournera vers la Bresse pour y restaurer la « grosse grange d'Ozan ». Même les magnifiques cuves de la cave voûtée ont disparu et de nombreux tags viennent « gangréner » les murs renforçant l'état d'abandon et de désolation du lieu. Un nouvel achat par le couple Borges maintiendra un vain espoir d'une possible réhabilitation qui s’avérera très vite une simple opération financière. Ce n'est qu'en février 2013 que Mr et Mme Papet après achat de l'ensemble envisagèrent une restauration lançant de multiples alertes à travers la région cherchant à s'appuyer sur les organisations officielles en place. Les demandes de permis de construire se verront refusées, la construction ayant, entre autres, été jugée non conforme au Plan Local d’Urbanisme de Cerdon (PLU), en dépit d'une inscription supplémentaire des bâtiments historiques datant de 1983, plaçant le site en zone naturelle et accentuant le désespoir du propriétaire au printemps 2018 allant jusqu’à envisager une grève de la faim. L’appel effectué auprès du tribunal administratif de Lyon n’aboutira pas. Cependant l'enquête publique de l'été 2018 laisse entendre une révision possible du PLU dans le cas où une restauration est envisageable.. On peut s’interroger sur le fait que Cerdon, bénéficiant du projet d'aide du Département voit actuellement la rénovation de la Cuivrerie, ne puisse bénéficier d’une Dans l’été 2019 il apparaît qu’une solution soit envisagée pour une rénovation. Dans le cadre des journées du patrimoine 2020 des visites sont organisées pour sensibiliser les populations locales. En avril 2021 le conseil municipal de la commune aborde la question budgétaire. Ces dernières informations encourageantes nous permettent de garder espoir pour la conservation de ce patrimoine historique. 1 Source : Archives Départementales du Rhône - 104J19 2 Pesselage, s. m. (Agriculture) c’est l’action de garnir une vigne de pesseaux [l’Encyclopédie 1751] - Pesseau : échalas pour les vignes.- Ainsi,on dépessèle, et on aiguise ensuite les pesseaux pour pesseler avant le deuxième labour. Les échalas ont une longueur moyenne de 1m60,et on les enfonce dans la terre de 15 centimètres environ;[…]. — (Raimond Boireau, Culture de la vigne - Traitement pratique des vins - Vinification, distillation, Bordeaux, Vve P. Chaumas, 1887, p.64) - Elles sont échalassées si on se sert d'échalas carrés en chêne, nommés charniers, de 1,40 mètres de longueur ; elles sont pesselées si on emploie du pesseau rond de bois blanc de 2 mètres de long. Le prix du pesseau n'est que le tiers de celui du charnier. — (Rapport fait au comice agricole de Saumur par la commission d’œnologie nommée dans la séance du 18 février dernier, dans le Bulletin de la Société industrielle et agricole d'Angers et du département de Maine-et-Loire, vol.9, Angers, Ernest Lesourd, 1837, p.2 3 Source : Archives Départementales du Rhône - 104J70 4 Source : Archives Départementales du Rhône - 104J18-104J20 5 Source : État-civil, Ambérieu-en-Bugey, 1822, promesse et acte de mariage de Joseph Émile Montluzin de Gerland et Jeanne Pauline Buynand des Échelles 6 Source : Archives départementales de l’Ain - 3E2068, fo 40,41 et autres 7 Source : notaire Duguest à Lyon 8 Source : Archives départementales de l’Ain – Hypothèques Nantua – Vol 36 articles 39 et 40 9 Source : Archives départementales de l’Ain – Hypothèques Nantua – Vol 37 article 70 10 Source : Archives départementales de l’Ain – Hypothèques Nantua – Vol 457 article 55 |